Sin City par Frank Miller
1ère publication le 09/10/15- Mise à jour le 23/09/23
Un article de : CYRILLE M ET JP NGUYEN
VO : Dark Horse
VF : Vertige Graphic/Rackham / Huginn&Muninn
De retour chez Huginn&Muninn !
Sin City est une série écrite et dessinée par Frank Miller, comprenant 7 tomes parus entre 1991 et 2000. Ses récits aux accents hard-boiled outranciers étaient illustrés dans un noir et blanc au contraste poussé à l’extrême. Polar polarisant le lectorat (subjugué par la maestria graphique ou dédaigneux de la simplicité des scénarios), cette œuvre se prêtait bien à une critique à deux voix. L’article ne traitera que du comic-book, et pas des adaptations cinématographiques, sorties en 2005 et 2014. Une réédition sous un nouveau format et avec une nouvelle traduction vient de paraitre chez Huginn&Muninn.
Voilà donc une petite discussion de comptoir entre Little Jay (qui vous a déjà parlé du Daredevil de Bendis et Maleev) et son compère Big C, qui sont retournés en pèlerinage dans la ville du péché.
Nous les retrouvons dans un rade de la vieille ville. Loin d’être inquiétant, il dispose, après avoir passé les lourdes tentures de velours du vestibule – gardé, cela va de soi – d’une dizaine de tables basses séparées par des banquettes en demi-cercle, entremêlées, tâchant de ne jamais être en vis-à-vis. Des filles étrangement vêtues parcourent doucement la pièce ou posent fièrement à divers postes stratégiques : un bout du bar, non loin de l’escalier en colimaçon ou près d’une petite porte fatiguée. L’ensemble est décati mais témoigne d’un passé sans doute glorieux. Nos envoyés spéciaux avisent une banquette vide et s’y engouffrent, jetant nerveusement des coups d’œil partout.
Little Jay : Qu’est-ce que tu bois ?
Big C : Une bière et un shot de whisky. Dans deux verres.
LJ : Moi, je prendrais bien un cocktail, mais ça n’a pas l’air d’être le genre de la maison… Bon, puisqu’on doit parler de Sin City, je vais prendre un whisky sec. Un truc bien corsé et pas sophistiqué, à l’image des scénars de la série…
BC : Comment ça pas sophistiqués ? Tu veux dire dans quoi ? Dans la trame ? Les clichés ? Non, pas sophistiqués, c’est réducteur. C’est gros, c’est même énorme dans plein d’aspects, mais c’est sophistiqué malgré tout. Car c’est littéraire. De la littérature à la Chandler je pense, voire à la Ellroy : violent et noir, bavard, qui parle sans cesse du temps qu’il fait et de c’quis’passe dans les entrailles, vivantes ou mortes. La sophistication du polar quoi. On n’est pas dans des enquêtes tordues avec des énigmes à découvrir ou une narration éclatée pour sûr. Non, là ça défouraille, ça coule, ça fonce.
Une serveuse passe prendre la commande.
Shellie : Alors, vous prenez quoi ?
BC : Une bière et un shot de whisky.
LJ : Un Booker’s
Shellie : c’est quoi, ça ?
LJ : Un bourbon, mais j’ai l’impression que cela ne fait pas partie des références disponibles dans votre établissement… Alors, euh… un whisky maison ?
Shellie : Une bière-whisky et un whisky. Ca marche.
LJ : Il y aurait donc une certaine complexité cachée derrière l’apparente simplicité des intrigues ? Hum… je crois comprendre ton point de vue. Il n’est pas forcément simple d’écrire une histoire simple et qui fonctionne, qui arrive à intéresser le lecteur. En cela, Sin City, c’est de la belle ouvrage… Mais quand même, j’avais été assez déçu par les histoires proprement dite à ma première lecture. Le premier tome, The Hard Goodbye, c’est Marv le malabar qui se fait dépuceler par Goldie la prostituée, se réveille à côté de son cadavre et va chercher à la venger. Il mène une enquête bourrine, identifie les coupables et les bute tous. Une simple histoire de vengeance. Le deuxième tome, c’est Dwight qui renoue avec son ex, Ava, qui le manipule pour tuer son mari et récupérer son pognon. Mais Dwight survit, revient et il est pas content. Encore une vengeance.
BC : C’est plus qu’une simple vengeance dans les deux cas. Ce sont des enquêtes qui accumulent des faits, des indices, qui mènent à des vengeances. Ce sont des situations tendues qui deviennent inextricables. Un scénario ou un pitch simpliste peut donner de grandes choses, tout dépend ce que tu veux y dire. Regarde le dernier Mad Max, par exemple.
LJ : En fait, au-delà du scénario, ce qui me décevait aussi, c’est l’absence de sous-texte fort ou pertinent. Dans Dark Knight Returns, Miller avait superposé son épique saga Batmanienne sur une critique de l’Amérique Reaganienne, tout en explorant le rôle ambigu du justicier, son impact sur la société et sur ses ennemis dérangés. C’était foisonnant. En passant au noir et blanc hyper-contrasté, Miller a aussi simplifié ses scénarios. Mais il a gardé certains de ses tics d’écriture, comme la répétition de phrases-clef.
BC : Sin City souffre effectivement d’un manque de sous-texte. On pourrait même y voir le Miller réac et amoureux des armes, de la loi du plus fort, de la peine de mort. Mais pour moi, ces histoires développent deux thèmes : celui de l’exercice de style, le polar hardboiled, et l’extrapolation des super-héros dans une réalité relative. Car autant Marv que Dwight ou Kevin sont des personnages hors-normes et improbables. A la relecture, Sin City est un vrai défouloir, une débauche de violence et de femmes fatales. D’ailleurs, elles sont toutes pareilles à quelques exceptions près, ces femmes : pulpeuses, sexy, jeunes, belles et très dangereuses. C’est le style qui veut ça, mais Sin City est loin d’être féministe ou un exemple à suivre…
LJ : Là-dessus, je suis d’accord. Elektra était déjà un assassin sexy. Les filles de la vieille ville ou la tueuse Delia, toujours de bleu vêtue, prolongent et amplifient ce concept. Cette vision tend à devenir caricaturale, et les femmes ne correspondant pas à ce moule sont rares dans les pages de Sin City. Toutefois, même si Miller met en scène des filles usant de leurs charmes pour arriver à leurs fins, je trouve son approche de la sexualité peu intéressante, teintée de culpabilité ou à connotation punitive. Mais au-delà du concept foireux et racoleur de « deadly sexy bitch », c’est tout l’univers fictif de Sin City qui reste très bancal. La domination du clan Roark, l’ombre du parrain Wallenquist, le deal entre les filles de la vieille ville et la police quasi-entièrement corrompue…
Ces éléments me paraissent très factices et nécessitent que le lecteur accepte de renoncer à une certaine vraisemblance. Ca peut paraître paradoxal venant d’un lecteur de super-héros mais lorsque je lis un genre « non-fantastique », j’attends justement un certain niveau de réalisme. Par exemple, 100 Bullets était aussi un polar ultra-stylé, avec ses outrances et ses personnages improbables mais globalement, une plus grande authenticité s’en dégageait.
Les verres arrivent…
LJ : Merci, M’dame ! Et tu vas t’enfiler ta bière et ton whisky à la suite ou en même temps ?
BC : Certains plongent leur shot de whisky dans leur verre de bière, mais je trouve ça vulgaire. Non, je vais les boire l’un après l’autre… A la tienne, Little Jay ! Pour en revenir à ta dernière remarque, ouep, je suis bien d’accord, tout cela est bancal et loin d’être réaliste. C’est du fantasme en fait. Si tu veux, Sin City, c’est le Dick Tracy de Warren Beatty en bd et sans couleurs. Ce sont des mecs avec des tronches impossibles et des femmes fatales qui n’existeront jamais (quoique, Jessica Alba, Eva Green, Rosario Dawson et Carla Gugino s’en rapprochent) avec des cubes conceptuels que l’on peut se faire d’une ville du péché : une ferme isolée, un clan politique qui ressemble à une maffia, une architecture gothique et écrasante…
En cela, c’est une extrapolation de Gotham City, et Marv est son Batman. Mais cela fonctionne bien, surtout en les lisant à la suite : Miller s’attache à une chronologie qui se répond entre chaque tome, reprenant des scènes du premier tome dans le second et le quatrième, faisant évoluer sa ville au fur et à mesure de la disparition du clan Roark. Il peaufine sa fantasmagorie, ramassée sur elle-même. Sin City est un lieu clos. Et pour bien nous le faire comprendre, Miller adopte un style graphique jusqu’au-boutiste, et voilà pourquoi on l’aime, cette bd : pour son dessin. Ce n’est pas pour rien qu’un recueil sur son graphisme, The Art of Sin City, est sorti dans le commerce. Mais on l’aime aussi pour le côté défouloir. Abattre un curé en pleine confession, ça m’a parlé, c’est choquant, c’est radical, c’est horrible, mais c’est aussi transgressif.
LJ : Punaise ça arrache ! Tu le sens passer… j’parlais du whisky, bien sûr. Il a un côté brut, très marqué, comme le trait de Miller dans Sin City. Mais comme tu le disais tout à l’heure, même si certaines planches ne sont que des aplats très contrastés, il y a une vraie construction dans ces dessins…Il faut voir les esquisses de Miller pour voir toute cette charpente qui disparait dans la version finale.
Contempler des pages de Sin City, c’est un peu hypnotique. C’est assez marrant de savoir que le premier éditeur à avoir publié la VF, c’était Vertige Graphic. Car ce nom correspond bien à l’impression dégagée. L’approche de Miller rend captivantes certaines séquences au contenu pourtant très basique.
Allez, puisque j’ai déjà beaucoup critiqué l’œuvre, je te partage une de mes séquences préférées : dans A Dame To Kill For, Marv saute sur Manute, le met à terre et le roue de coups. Essoufflé, il s’interrompt et Manute laisse échapper un râle. Marv repart de plus belle et redouble de violence. C’est raconté sur 3-4 pages avec très peu de cases par planche mais une efficacité totale via des cadrages pertinents, une narration séquentielle ultra prenante, jusque dans le lettrage des onomatopées des coups de poing de Marv, dont la taille et la déformation de police dans la dernière pleine page, retranscrit formidablement bien la violence de la correction infligée. Pour moi, c’est ça Sin City. C’est violent, c’est viscéral, c’est simpliste mais c’est sacrément bien fait. D’ailleurs, Miller avait préparé le terrain de cette scène en présentant bien Manute comme un des méchants de service tandis que Marv est la brute au grand cœur, du coup, le lecteur se défoule avec Marv, avec une bonne dose de violence cathartique.
Et toi, t’aurais une autre scène marquante en tête ?
BC : Une autre scène marquante ? J’en ai plusieurs oui ! Mais je vais t’en donner deux : dans le premier tome, il y a cette scène où Marv marche seul sous la pluie. C’est Rocky qui se bat contre une statue immense de Roark, trempé jusqu’à l’os, riant aux éclats. On ne fait qu’apercevoir des masses, on contemple des traits de rasoir blancs qui forment la pluie, mais c’est incroyablement fascinant, hypnotique comme tu dis. Et on sait toujours où on est. Narrativement, c’est très fort. On retrouve d’ailleurs plusieurs tics dans d’autres œuvres de Miller qui s’auto-cite : les escaliers que dévale Marv sont ceux de chez Matt Murdock dans Elektra lives again, la planche faite d’onomatopées qui prennent la largeur de la planche pour pouvoir illustrer l’intérieur avait déjà été fait dans Dark Knight Returns.
La seconde qui me vient de suite à l’esprit, c’est l’anti-Sin City, comme quoi cette bd tente également de se saborder sur la fin : le long passage en couleur du dernier tome, où Miller s’amuse encore à s’auto-citer avec des ninjas de Elektra lives again ou Big Guy, mais aussi en rendant hommage à la bande dessinée dans son ensemble, mettant en scène Hagar Dunor ou Martha Washington. C’est la preuve ultime que Sin City est un monde fermé qui parle de bd et en explore les limites sous forme de polar.
LJ : Tu sais, j’ai toujours trouvé le dernier arc, Hell and Back, un peu bizarre. Pas vraiment raccord avec le reste de la série. Le personnage de Wallace est un peu trop héroïque par rapport aux autres lascars auxquels la série nous avait habitués. Parmi les personnages comiques, j’aimais bien Agamemnon, le boss de Dwight. Sa dégaine improbable avec son t-shirt Kiss me I’m greek , ça, c’était du look. Pour les gros durs, mon cœur balance entre Dwight et Marv, mais je pencherais plutôt pour ce dernier, par sa dimension tragique et monstrueuse (et puis, il sait choisir un manteau). Enfin, pour les femmes, Miho est un peu trop fade à mon goût… alors je dirais Nancy Callahan… ouais, la môme Nancy m’a longtemps fait fantasmer…
Tu vois, en passant en revue les persos dans ma tête, je réalise que l’économie de moyens choisie par Miller concerne autant le dessin que l’écriture. De même que les images sont épurées, la caractérisation va à l’essentiel, en brossant des portraits rapides, de personnages aisément identifiables, vite catalogués. Et pourtant, le charme fonctionne souvent… Sans doute parce qu’ils allient souvent une force physique et une résistance hors du commun avec des failles très humaines. Marv est une armoire à glace effrayante mais n’a jamais connu l’amour avant Goldie. Dwight est un sacré dur mais il ne peut s’empêcher de replonger pour les bons yeux d’Ava. Hartigan a un cœur de lion mais aussi une faiblesse cardiaque, ainsi que des sentiments ambigus pour Nancy… Et toi, tu verrais qui comme perso marquant ou emblématique ?
BC : Ah mais mon gars je suis tout à fait d’accord avec toi, les persos marquants, le dernier tome qui est complètement décalé et l’inverse de tout le reste de Sin City, notamment avec le personnage parfait qu’est Wallace. Dwight, Marv et Nancy sont les marques de fabrique de la série. C’est Marv qui me marque le plus, pour son aspect tragique. Et Dwight parce qu’il est le plus réel. J’ajouterai juste Hartigan, le flic qui va au bout de sa quête et combat à l’intérieur du système corrompu. Ce sont eux qui sont Sin City, mais tu remarqueras que les personnages secondaires sont toujours plus ou moins savoureux, comme le duo improbable d’hommes de main que sont Burt Schlubb et Douglas Klump, et Delia, qui elle aussi me fait fantasmer… Comme la ville de Basin City peut l’être, le fantasme de fais ce qu’il te plaît.
LJ : Je vois que l’alcool aidant, on finirait presque par tomber d’accord… Mais pour « fais ce qu’il te plait », je n’adhère pas à 100%. Malgré le côté irréaliste des intrigues, Miller n’oublie pas de confronter les personnages aux conséquences de leurs actes. Marv venge Goldie mais finit sur la chaise électrique. Dwight cède à Ava et s’en mord les doigts… Hartigan sauve une première fois Nancy et va en taule. Et caetera. Même le tome 5, Family values, repose sur cette notion des conséquences, en l’occurrence de balles perdues… Mais bon, ce n’est pas mon arc préféré. D’ailleurs, question arc, c’est lequel qui te branche le plus ?
BC : Ouais, ouais, action/réaction, actes et conséquences… C’est très américain, cette leçon, elle est sans cesse rappelée à longueur de séries télé, de sitcom et de films hollywoodiens depuis cent ans, Sin City ne déroge pas à cette règle. Mon arc favori est sans doute le premier, qui est le plus extrême. Mais j’aime beaucoup That Yellow Bastard, sans doute le plus abouti en terme d’histoire, où Miller ne laisse pas paraître son penchant pour un gouvernement autoritaire. C’est un peu Hell & Back avec un type dépassé et trompé, c’est presque touchant. C’est aussi la première fois où la couleur apparaît dans la série, et sur un seul personnage. Elle revient plusieurs fois, surtout dans le tome 6, celui des histoires courtes, entre trois planches et une vingtaine, et soulignent toujours un élément fort ou remarquable : les yeux de Delia, son manteau et ses gants, tous bleus, et la robe et les lèvres de Mary. C’est un peu superficiel et cela fait très années 80 je trouve, ce qui est dommage pour une série apparue dans les années 90 non ?
LJ : Comme tu le dis, Sin City, c’est très américain. Miller limite fortement la nudité mais se déchaîne sur les décapitations et scènes de passage à tabac ou de torture. Quand on y réfléchit, cette censure asymétrique entre le sexe et la violence dans les medias est quand même étrange. Après tout, le sexe devrait toucher plus de gens que le meurtre…De mon côté, si je ne devais en garder qu’un, ce serait A Dame to kill for, car tous mes persos favoris y font une apparition et Miller est au top de son art… Mais Yellow Bastard m’avait aussi beaucoup marqué et on y voit davantage Nancy !
Bon, je crois qu’on a fait le tour de la question ? Attends, faut aussi qu’on décerne les étoiles…
Sur l’ensemble de la série, y’a des hauts et des bas (les bas sont surtout dans les derniers tomes). Et c’est le graphisme plus que les scénarios qui retient l’attention. Mais il y a des tas de touches sympathiques, de cases mémorables, de cadrages inspirés, de séquences bluffantes, de personnages truculents alors je mettrais 4 étoiles et demi. Quelque part, c’est l’une des dernières réussites de Miller avant qu’il ne se vieuconnise et ne se marginalise.
BC : Je n’ai pas suivi Miller après Sin City, je sais à peine qu’il a sorti un truc il y a deux ou trois ans… J’ai 300… Par contre je suis allé voir du côté de ses Daredevil que je ne connaissais pas, et là, c’est du tout bon ! Sin City, c’est pas aussi bon, surtout les tomes 5 et 6 qui sont un peu plus anecdotiques, mais questions étoiles, je lui décerne deux Merco Benz (une noire et une blanche) et deux .357 Magnum.
LJ : Avec ton système de notation, j’en connais un qui serait embêté avec les icons de WordPress ! Alors je crois qu’on va rester sur 4 étoiles (non, par contre, j’en ai marre de souligner Sin City….-Ndlr) … Nos verres sont vides, on remet ça ?
BC : Je veux qu’on remet ça mon pote ! A la santé de Nancy, Dwight, Wallace et les autres !
‘tain les mecs vous ne m’avez même pas invité à picoler c’est pas sympa ça ! Justement j’avais soif !!
Bon tant pis j’vais me rincer le gosier tout seul puisque c’est ça !
Toujours est-il que comme vous le signalez le scénario (simple mais efficace) n’est finalement pas ce que l’on retient de cette série, mais bien plutôt l’atmosphère sombre et violente empreint d’une sensualité paradoxalement prude…
A titre personnel j’ai toujours été « choqué » par la différence de qualité entre les dessins du premier tome (le traitement des contrastes est tout simplement incroyable !) et les tomes suivants où le dessin se dégrade très clairement d’une série à l’autre ! (A la décharge de Miller quand on doit produire 5 pages par mois -comme c’était le cas pour la 1ere édition dans DHP- et 22 pages on a forcément moins de temps pour finasser les détails…)
J’ai décroché de la série avec « Family values » et son dessin carrément hideux et brouillon…
Bon c’est pas tout ça mais trop parler m’a carrément déshydraté alors cheers les gars et à la vôtre !
« sensualité paradoxalement prude » : cette formule retranscrit très bien mon impression par rapport à la série. La composante « Sin » n’est finalement pas si forte que ça dans ces histoires (y’a des trucs beaucoup plus gratinés chez Ennis ou Chaykin)
En revanche, je ne trouve pas que le niveau dessin baisse tout de suite après le tome 1 mais plutôt à partir du tome 5…
A la tienne Patrick ! C’est vrai que le tome 5 fait office d’épisode mineur mais le suivant remonte le niveau du dessin et j’ai énormément d’affection pour le dernier, Hell & back.
Whaouh ! Je suis envieux de la qualité de l’analyse, et de du rythme vivant de cet article exceptionnel. Respect !
Littérature – Je suis convaincu que Sin City mérite ce qualificatif. J’ai l’impression qu’il est possible de voir de nombreux sous-textes dans cette œuvre de genre. Pour commencer c’est un hommage aux auteurs de polar que vous citez, et donc d’une écriture à hauteur de l’individu normal, sans intellectualisation, une écriture de col bleu et pas de col blanc. Marv incarne l’individu pas très futé mais refusant de se soumettre au système.
Ensuite, Frank Miller magnifie les stéréotypes visuels et narratifs au point qu’ils en deviennent une caricature, et donc une critique. Vous le dites d’ailleurs : virilité exacerbée, culte de la perfection du corps, femme réduite à l’état de salope de manière systématique, recours à la violence sadique comme outil de divertissement…
Il y a un autre sous-texte que vous mettez en évidence : un travail sur la forme du média, sur la BD elle-même, avec cette conceptualisation épatante de l’image, son épuration jusqu’à l’abstraction, un commentaire sur la perception des formes, sur la structure sous-jacente de chaque forme.
Vous mettez également en évidence le thème du prix à payer, des conséquences, d’une forme de balance karmique. Ça fait déjà pas mal de sous-texte pour ces 7 tomes.
En termes de transgression, Frank Miller y va fort également avec Fat Man & Little Boy les surnoms de Burt Schlubb et Douglas Klump.
En ce qui concerne le premier tome, je pense que la description faite des personnages, des politiques et de la ville est tirée de la vision de Marv. En lisant ce tome, j’ai l’impression de voir la réalité par ses yeux, c’est-à-dire un point de vue très subjectif, ce qui explique pour moi que le récit soit en noir & blanc fortement contrasté, que les opinions soient tranchées jusqu’au simplisme.
Merci Présence, mais il faut bien qu’on s’y mette à deux pour être à la hauteur des analyses si fouillées…
Et bien sûr merci à Cyrille pour m’avoir donné la réplique, depuis le temps que je tannais le Boss et la Team pour écrire des articles en duo… Finalement, ils se sont tous écrits à peu près en même temps… Et je ne peux qu’encourager les autres contributeurs à s’essayer à ce genre de format car, lorsque le sujet s’y prête, je trouve que cela donne des articles vivants et qui sortent un peu de l’ordinaire.
Lorsque j’ai recommencé à écrire des articles pour Bruce, je ne voyais pas trop ce que je pourrais apporter de plus par rapport à la Team de serial-reviewers d’Amazon et d’experts pointus en BD et musique… Alors, j’ai d’abord écrit majoritairement sur ce que j’aimais et sur des trucs un peu obscurs… Et puis, je me suis mis à écrire davantage mais malgré tout, je n’arrive pas à écrire sur tout ce que je lis, et adopter une approche un peu originale me motive beaucoup pour attaquer un nouvel article…
Alors encore thanks à Big C et un p’tit teaser pour demain : ce sera encore une autre approche…
Excellent!
Sin City est une œuvre magistrale pour moi et comme vous je reste sur ma faim sur les derniers volumes tout de même.
Sinon, en vous lisant, je me revois discuter des heures avec mon frères de nos lectures. Croiser nos impressions et nos passages préférés. Bien entendu, nos analyses sont bien moins poussées 😉
Ma scène préférée (ou plutôt la plus marquante voire jouissive -on va me prendre pour un barge voire pire-), c’est quand Kevin se fait « bouffer » ce qui lui reste de cuisses par son proche « chien ».
Cela me rappelle un reportage que j’ai vu cette semaine et qui m’a révolté : La situation des femmes en Inde… »brulées » à l’acide (l’acide étant en vente libre un peu partout et très abordable).
Enfin, voilà, je pense que vous avez compris le parallèle…
Et je me dis que la ville aux pêchés n’est pas si factice que cela…Comme si Miller exauçait « mon » (ne souhaitant me prendre pour un cas général) fantasme de meurtre et de vengeance sur les personnes qui, à mes yeux, méritent eux aussi la pire des souffrances.
Je pense par exemple que son Holy Terror se devait peut-être nous inspirer le même « sentiment » sauf qu’il s’est juste trompé ou juste parce que, cette fois-ci, je n’ai pas adhéré à son message/son combat.
Heu ben wow !! Merci beaucoup Présence et Wildstorm pour vos commentaires. Présence, comme toujours, tu éclaires et résumes magnifiquement des concepts artistiques pourtant peu évidents. Et bien sûr cet article n’existerait pas sans JP, il en est l’architecte et je le répète, écrire à quatre mains fut un immense plaisir, très motivant et incroyablement enthousiasmant. Nos échanges ont presque été élaborés en une seule soirée fiévreuse par mails, disons pour la plus grosse part. Donc merci à toi, JP, et tes idées formidables.
A la votre les mecs ! Je ne voulais pas commenter à la légère un article aussi brillant que drôle ! Cyrille, tu es un superbe avocat de FM ! Quant à JP, ton esprit critique rivalise de perspicacité ! Oui, effectivement le premier Sin City est effectivement l’histoire de la perte de pucelage d’une crapule. Et, le « Kiss me », I’m Greek est un logo pop à part entière.
Pour rebondir sur votre article, moi qui suis si exigeant, sur les sous textes, et souvent impitoyable avec Miller, je n’ai pourtant toujours trouvé que des qualités aux 4 premiers Sin City. A partir de Family Values, on est dans de l’auto parodie, je trouve. miller s’auto-cite. Et encore….ne serait il pas aussi là un précurseur de Tarrantino (que j’apprécie pas plus que ça….). La scène de la station essence où les personnages jactent, tout comme l’ouverture avec Jackie pour « Big Fat Kill », c’est typiquement le genre de scène où le public sait qu’après cette assaut de bavardages, faux vernis de civilisation, le carnage aura lieu….
Lorsque je pense au premier Sin City, que je vois la silhouette solitaire de Marv’, je pense instinctivement à celle de Travis de « Taxi Driver ». Il s’agit de mettre en scène un personnage dévoré par la ville, une ultra-moderne solitude. MArv, Dwight, Hartigan, sont les enfants d’une ville qui les dégueulent.Ils en connaissent les vices, les tares, les planques. SI le sang n’y coulait pas autant, pou pourrait y trouver qu’il s’agit de jeux d’enfants. Cette métaphore trouve son paroxysme avec Dwight manquant d’être englouti vivant dans les marécages sous les yeux de dinosaures, autre figure de dévoration, dans une scène que j’ai toujours trouvé angoissante.
Sin city est une mère impitoyable où les enfants doivent jouer selon les codes imposés. Dès lors que ses enfants y dérogent, la punition est fatale. A cet égard, j’ai toujours trouvé agaçant que Dwight s’en sorte constamment. La colère de Miller se brouille donc avec la voix de ses personnages qui n’ont aucun doute sur l’immoralité de leurs actes. Tous sont des personnages improbables et tous pourtant ont une vie intérieure crédible. En fait, on sent que Miller, est un grand maître de la BD qui maîtrise tous ses codes. Oui, il est possible que Hartingan se tape douze ans de prison en 2 pages, qu’il se prenne 6 balles à bout pourtant et que Marv’ dérègle une chaise électrique. Parce qu’il n’est pas possible pour le lecteur d’entrer dans Sin City sans y accepter ses règles.
J’y voie aussi des références vachardes à Marvel : rappelez vous de Weazel, le clone de Wolverine, pleutre et trouillard. Logan, s’il n’avait pas été exploité jusqu’à la lie serait un formidable personnage de Sin City : droit et intègre dans son immoralité, résistant à la douleur, aussi prompt à tuer qu’à aider ses amis. Et puis Marv’ quand même (une abréviation de Marvel). UN truand de première, un fauve sociopathe, mais capable de tendresse envers les femmes et les enfants (j’adore cet épisode muet où il sauve un enfant en silence). Ce look ! Ce petit crucifix !
Enfin, pour avoir vécu les années Sin City, je dirais que Miller encore était en avance. Parce que l’époque était aux crosssovers Marvel (déjà…), que la saga du clone n’en finissait pas et que tout à coup, en haut des bacs, apparaissait des histoires complètes, en fait les premiers TPB, hors super héros. C’était quelque chose, ces éditions Vertige toutes déchirées maintenant au thermocollage si fragile et dont je n’arrive pas à me séparer….
Voilà ce que m’inspire votre article les gars ! Merci pour cette visite nostalgique de Sin City à laquelle je reste si attaché malgré ses aberrations (les politiques sont nuls, les pys aussi etc).
Ps : Je ne me lasse pas du dessin de JP !
Bruce, tu m’apprends encore des choses. Comme tu as la vision éditoriale de l’époque, cela remet Sin City en perspective, et c’est très intéressant. Encore une fois, merci de nous laisser cet espace de création sur ton blog.
‘Tain les gars ! J’suis sûr que je suis capable de me siffler trois bières et trois whiskys avant que vous ayez le temps d’en boire un seul ! 😀
Bon. En tout cas, en ces périodes où il y a « beaucoup travail », j’attendais le week-end pour me pencher sur tout ça à tête reposée.
Merci pour cet article aussi dense que rigolo ! Car je n’ai encore jamais lu « Sin City » qui dort sur mes étagères ! Il faut dire que j’ai acheté les deux grosses intégrales VF qui ont la taille d’un « Larousse » et que je trouve ça très intimidant !
Mais, ayant lu l’essentiel du travail de cet artiste en dehors de cette série, je ne doute pas un instant que ça va me plaire, car je pense que tout ce que j’aime dans une BD se retrouve dans les pages de « Sin City ».
En lisant attentivement les critiques croisées de JP & Cyrille et le commentaire transversal de Présence, Je me dis une fois encore que c’est dans les créations de « génies » comme Frank Miller que l’on trouve les meilleures toiles de fond. Elles sont sous-jacentes, elles sont abstraites dans leur développement, mais elles sont bien là.
Cela me rappelle une longue discussion enfiévrée que j’avais eue avec un internaute sur un site de comics. Il essayait de me convaincre que les comics old-school de Marvel (années 60 & 70) étaient autant pour les enfants que pour les adultes, alors que je n’arrêtais pas de balancer du « infantile » en veux-tu-en-voilà sur les lectures en questions.
Il me tannait avec les créations de Stan Lee où se cachaient des thèmes profonds et tout ça. Et surtout avec des « auteurs » comme Steve Englehart qui critiquaient des trucs comme le scandale du Watergate dans des séries comme Captain America. Et il me rabrouait sur les comics que je défendais en ce temps là, comme les créations de Jeff Loeb & Tim Sale par exemple.
Une discussion sans agressivité, mais deux courants de pensée distincts.
Je continue aujourd’hui de penser que les véritables œuvres d’auteurs se jouent du côté des artistes comme Frank Miller (ou Jeff Loeb & Tim Sale). Car avec eux, la toile de fond se confond avec le graphisme de leurs séries.
Je m’explique : Il y a en effet le thème sur le droit à la différence qui sert de toile de fond aux premiers X-men. Mais purée qu’est-ce que c’est tarte ! Qu’est-ce que c’est lourd ! Quant à la critique du Watergate par Steve Englehart, je suis désolé, mais elle retombe un peu à plat quand elle est assénée avec un style narratif infantile (oui, je sais, je n’ai pas pu m’en empêcher…) et des dialogues moyenâgeux ! On est quand même loin d’un bon vieil Astérix, où Gosciny parvenait à égratigner les travers de notre société avec un seul récit faisant craquer les enfants et hurler de rire leurs parents, tout cela le long d’une quarantaine de planches pouvant être lues sous deux points de vue distincts selon l’âge du lecteur !
Je répondais alors à mon interlocuteur en soutenant la thèse de la toile de fond sous-jacente et portée par les choix de l’auteur en termes de narration et de graphisme.
Dans les oeuvres de Jeff Loeb & Tim Sale (que cet internaute qualifiait de « comics de base sans épaisseur »), tout se joue dans les relations entre le fond et la forme.
Les auteurs en questions ne développent pas leurs thèmes en les assénant à coup de massue, mais en les digérant en amont. Ils citent des références originelles en les assimilant, et ainsi développent du fond par héritage artistique.
Lire du « Loeb & Sale », c’est retrouver des références aux polars, aux films noirs de l’âge d’or Hollywoodien, aux cartoons de Tex Avery et à l’expressionnisme allemand des années 30 et 40. C’est, comme le dit Présence à propos de « Sin City », être sur le terrain de la littérature : l’hommage aux auteurs de polar avec tous les thèmes sous-jacents (« Marv incarne l’individu pas très futé mais refusant de se soumettre au système »), la caricature entant que critique universelle (image de l’homme et de la femme et stigmatisation de la violence comme outil de divertissement), le travail sur la forme du média (conceptualisation de l’image), la transgression des règles, etc.
Les véritables auteurs et les véritables artistes (tout ce que j’ai appris à travers mes études d’art), n’assènent pas leurs thèmes par le texte, mais par leur expression plastique. Et ils utilisent pour ce faire l’héritage de l’histoire de l’art.
Ainsi, des auteurs comme Loeb & Sale (ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, et bien évidemment Frank Miller pourrait être leur étendard) mélangent leurs récits à leurs références, et véhiculent ainsi la toile de fond qui est intrinsèquement liée avec celles-ci. Une atmosphère particulière, un style graphique prononcé, un genre particulier de récit, et la toile de fond arrive avec. Pas besoin de taper sur la tête du lecteur en répétant niaisement : « t’as vu : dans la société de consommation, les femmes sont des objets » ou bien « le racisme, c’est pas bien parce que mon super-héros il est différent et il fait peur à tout le monde alors qu’en fait il est gentil ».
Avec le recul, je ne prétends pas que cet internaute avait tort et moi raison. Mon point de vue sous entend que le lecteur doit d’abord posséder un bagage et une solide culture artistique afin de relever les éléments de la toile de fond. Son point de vue défend une lecture « pour tous », chaque lecteur n’étant pas forcément intello et proutprout.
Mais en tout cas, je reste persuadé que des types comme Miller définissent ce qu’est réellement l’art séquentiel. Tandis que des types comme Stan Lee et consorts sont uniquement des conteurs qui utilisent un medium comme un autre, sans talent particulier entant que manipulateurs de concepts.
Et, bien évidemment, je ne suis pas d’accord sur le principe qui consiste à défendre les comics old-school entant que lectures pour adultes. On ne se refait pas…
Alors voilà quoi, les raisons pour lesquelles je continue de défendre becs et ongles ce type de comics en pensant que c’est de l’art, là où j’estime que le mainstream, c’est majoritairement des créations plus légères.
Pour le dessin : je crois pouvoir dire que Cyrille n’est pas aussi ridé (ni aussi grand) que sur le dessin mais je travaillais d’après photo et c’est ce profil là qui me fut le plus utile pour le croquer « à la Sin City ».
J’étais d’ailleurs un peu dubitatif et j’en ai refait un autre, moins contrasté et moins détaillé mais Cyrille, à raison, m’a incité à garder mon premier essai.
@Tornado : je comprends ton point de vue et partage certaines de tes remarques (notamment la double lecture génial possible dans les Astérix). Toutefois, tout en étant conscient que certains auteurs européens n’ont pas attendu pour donner de la profondeur à leurs BD, je pense que les auteurs US ont fortement été influencés par leurs pairs. Et du coup, aussi lourdes et pataudes que furent les écritures de Stan Lee (en fait, il faudrait plutôt parler de son « association » avec Jack Kirby) ou de Englehart, je pense qu’elles ont pavé la voie à d’autres auteurs américains. Tu parles d’histoire de l’art, or je crois que les comics ont longtemps été « auto-centrés », il ne faut donc, à mon avis, pas sous-estimer l’influence des « précurseurs ».
Arf… Je ne sais pas comment l’expliquer autrement. Je ne nie pas l’apport et l’importance de ces auteurs « old-school ». Stan Lee avait sûrement du génie dans son genre. Imaginer un univers de super-héros comme une mythologie, c’était très fort dans le fond.
Ce que j’essaie d’exprimer, c’est le sens artistique. Je trouve qu’artistiquement parlant (dans le rapport fond/forme), Stan Lee était plutôt mauvais. Et Steve Englehart également. Chris Claremont a fait beaucoup mieux, mais pas de façon régulière.
A la même époque, des auteurs comme Karl Barks ou Will Eisner (mais je ne m’y connais pas assez pour le coup), étaient sans doute bien meilleurs sur ce registre.
Quand j’ai relu les intégrales Marvel, j’ai trouvé globalement que Claremont pouvait être brillant lorsqu’il prenait du temps pour écrire ses récits. Pour le reste, il écrivait plutôt mal (avis strictement personnel).
En revanche, Miller, c’est tout de suite plus fort. « Artistiquement parlant », encore une fois.
Le résultat est pour moi évident. Les Daredevil de Miller me font encore de l’effet, quand les autres comics old-school me tombent des mains.
Mais surtout, ce que je pense profondément, c’est que certains auteurs complets (ceux qui écrivent le scénario et dessinent leurs histoires, ou encore ceux qui écrivent leurs récits en assimilant l’art séquentiel, comme Alan Moore par exemple), développent une toile de fond par leur expression plastique.
La toile de fond est alors plus diffuse, plus « émotionnelle ». Et par extension plus artistique.
C’est Tornado qui m’a tout appris : le rapport fond/forme est déterminant pour qualifier un ouvrage de littéraire. Je suis toujours aussi mauvais pour savoir ce qui relève du fond et ce qui relève de la forme, mais lorsque mon fils a étudié cette question en première, les explications et les exemples de Tornado m’ont permis de progresser un petit petit dans ma compréhension de ce concept.
A nouveau, je trouve que son exemple d’auteur complet est très parlant. Les comics Marvel des années 1960, comme ceux de maintenant sont des produits industriels fabriqués à la chaîne : un scénariste, un dessinateur, un encreur, un metteur en couleurs, un lettreur. Il est donc assez rare que tous se concertent pour réfléchir à la conception du produit fini et s’assurer d’être en phase. Au mieux la partie visuelle était efficace, au pire elle était à peine fonctionnelle. Le rapport fond/forme était donc assez faible.
Au mieux, le scénariste évoquait la condition humaine (racisme, égoïsme, industrialisation), au pire il se contentait du combat du mois contre un supercriminel aux motivations génériques. Au mieux le dessinateur avait un sens de la composition et une approche artistique, au pire le lecteur s’interrogeait sur ce qui était représenté dans certaines cases, et avait du mal à suivre la logique de la narration visuelle. Je parle au passé parce que depuis les années 1960 l’industrie des comics s’est professionnalisée.
Donc, à l’époque, pour avoir une cohérence entre fond et forme, il valait mieux que le process industriel soit réalisé par le moins de monde possible, c’est-à-dire par un artiste remplissant les fonctions de scénariste et de dessinateur. Jack Kirby a expliqué à plusieurs reprises que Stan Lee ne lui fournissait qu’une idée en 2 ou 3 phrases pour le scénario des Fantastic Four, laissant le soin à Kirby de la développer (sacré euphémisme) sur une vingtaine de pages. Lorsque les pages revenaient à Lee, il écrivait les dialogues (et donc une partie du scénario), parfois en allant à l’opposé des notes de Kirby dans la marge. Difficile dans ces conditions d’obtenir un bon rapport fond/forme en sortie de chaîne de montage.
L’exemple de l’artiste réalisant histoire et dessin est donc un exemple très parlant pour améliorer la cohérence entre le fond et la forme. Celui d’Alan Moore l’est tout autant. La lecture de ses scénarios montre un créateur qui prend en compte la dimension visuelle de la narration (il n’y a qu’à penser aux leitmotivs visuels de Watchmen, à commencer par le smiley, pour en prendre conscience).
Tornado : je comprends mieux ce que tu voulais exprimer. Cela dit, les comics étant à la base un medium populaire, je pense que pas mal de lecteurs venaient surtout y chercher un divertissement, plus ou moins intelligent. Et que la taylorisation scénariste/dessinateur/encreur etc n’était pas forcément la garantie d’une grande intégrité dans la démarche artistique, mais plutôt le moyen de tenir des délais et une cadence de production… Avant d’être artistique, c’était une démarche commerciale et industrielle.
Claremont était un bon feuilletoniste animant une galerie de personnages mutants en constante expansion. Pour autant, en plus du divertissement (soap+baston), il incorporait des thématiques plus adultes ou en tous cas des touches plus « cérébrales » à son oeuvre. Ainsi, l’annual des Avengers où il mettait en scène la perte de pouvoirs de Carol Danvers et l’arrivée de Rogue, avec une bataille Avengers/Brotherhood of Evil Mutants : c’est un pur bijou de comics d’action avec des combats bien chorégraphiés, tirant partie de toutes les spécificités des protagonistes. Mais à la fin de l’histoire, il y a une scène plus intimiste et émouvante, faisant réfléchir les Avengers (et le lecteur) sur l’image de la femme.
Je te rejoins sur la force des auteurs complets, et je prendrais l’exemple de Jim Starlin, qui, avec son Warlock dans les années 70 produisit une oeuvre très personnelle, chez un éditeur pourtant mainstream (Marvel).
Plus récemment, je trouve que Kaare Andrews avec son run en 12 numéros d’Iron Fist est aussi dans une démarche similaire.
En fait, avec la transformation du marché, l’écriture pour le TPB ou directement en Graphic Novel, la démarche artistique que tu évoques devrait être favorisée. Hélas, les personnages Marvel et DC sont devenus des franchises lucratives pour le cinoche. Du coup, en dehors de quelques perles « hors continuité » ou « de niche », il faut se tourner vers Image ou autres pour trouver de la bonne came…
Mais… je crois que je me suis un peu trop éloigné de Sin City, avec tout ça…
J’ai trouvé pour une bouchée de pain (20€) l , l’intégralité de SS en Omnibus.
J’ai relu aujourd’hui Valeurs Familiales que j’avais détesté à l’époque. Je trouvais que le ton tranchait (Miho, du calme fifille !) avec le roman noir que j’adorais dans cette série.
Et puis , là je me suis laissé emporté par VF : c’est en fait une histoire drôle qui m’a fait marrer du début à la fin, le genre de truc que serait incapable d’écrire le pénible Ed Brubaker justement. Miller ne se prend pas du tout au sérieux. Et, il met en scène un mafieux appelé ….Vto 😉
On en parle maintenant.
Je n’aime pas par contre A dame to kill for. Là il ne s’est pas foulé. Les histoires de BLue Eyes sont chiantes. Par contre Silent Night est toujours aussi splendide.
Je relis demain Hell and BAck.
Arf, moi j’aime bien « A Dame to Kill For » (je le disais déjà à l’époque de l’article). Les références au whisky, Merle Haggard et Marv qui tabasse Manute… « A Dame to Kill For » me plait plus que « The Big Fat Kill », qui est un peu lourdingue par moment…
Moi, je mets une piécette sur le fait que « Hell and Back » ne te plaira pas des masses… Wallace est un héros trop lisse…
Non, alors je confonds. C’est « Des filles et des flingues »
Oui celui-là est pas terrible, il ne s’est pas foulé, y compris au dessin. Et comme JP je suis presque sûr que tu ne vas pas aimer Hell and back… alors que je lui trouve pas mal de qualités. Tu as raison pour le côté fun de Valeurs familiales. Surtout qu’il est court.
Et bien je me suis encore plus marré qu’il y a 20 ans où je trouvais que Miller avait perdu le truc. C’est moins sombre, Wallace est un vrai boyscout mais il garde la poisse des autres personnages de la série. Je trouve que l’enquête est totalement naze notamment sa résolution, Mais il y a une bonne humeur vacharde et jouissive à la quelle je n’avais pas été sensible la première fois, tellement je voulais de la violence et du sang.
J’ai même aimé le délire psyché dont j’ai apprécié la construction. Je rêve même d’une histoire en couleurs.
Ouh punaise, 20 ans ??? Ah oui, quasi… Ca ne nous rajeunit pas, tout ça… En fait, je dois être un peu sadique, parce qu’avec un tel titre, et avec ce que Marv, Dwight et Hartigan avaient subi, je m’attendais à ce que Wallace morfle davantage. Or il se sort de quasiment tout sans grande difficulté, ça introduit une cassure par rapport au reste de la série…
Cela va être l’occasion de compléter ma collection et de me procurer enfin les tomes qui me manquent.
Je ne me lasserais jamais de lire et relire le premier tome, The Hard Goodbye.
Je ne les rachèterais pas mais ma collection de Sin City est complètement disparate. J’ai le premier tome en version Vertige, hyper usée, les autres chez Rackham mais selon deux éditions distinctes (les tomes 2, 4, 5 et 6, je les ai avec les couvertures de la troisième édition que l’on voit dans l’article, très épurées).
J’ai l’intégrale en deux omnibus de chez Rackham. Problème ? C’est tellement gros comme bouquins que je n’ai encore jamais eu le courage de les lire… 😔
Ils sont volumineux mais ils se lisent vite 😉
Tiens, plus que Chandler et Ellroy, une des références littéraires assumées de Miller pour Sin City c’est Mickey Spillane, créateur de Mike Hammer (qui aurait dû, dans les années 40, être un personnage de comics, chez Fawcett, mais même à l’époque ça avait été jugé trop violent). Le premier tome de Mike Hammer, « J’aurais ta peau » (« I, the jury ») donne le ton.
Pour trouver les sources graphiques de Miller, ça vaut le coup d’aller voir du côté de Steranko. Il y a déjà du Sin City dans son adaptation de Outland, la parenté avec la scène de la cage utilisée dans l’article est évidente. Toujours de Steranko, son roman illustré « La marée rouge » (« Red Tide ») est presque le chainon manquant entre les deux.
Quand à la scène BLAM, outre son côté transgressif, c’est la démonstration des capacités de graphiste et de narrateur hors pair de Miller.
Merci Alex pour les précisions ! Je suis vraiment pas assez calé en littérature polar. Il faut absolument que je lise PARKER par Darwyn Cooke (je suis bien content de l’avoir acheté celle-là).
Tiens, du coup je vois la couverture par Frank Miller du Mickey Spillane’s Mike Danger n°1 et sa pin-up en double page dans le premier numéro de Ms Tree sous un nouveau jour !
Max Allan Collins, auteur de Ms. Tree, est lui aussi fan de Spillane. Tout se recoupe.
Quant à Parker, c’est tiré de l’oeuvre de Richard Stark, qui a inspiré un film Parker (moyen, avec Jason Statham) et l’excellent et plus libre Payback avec Mel Gibson (rebaptisé Porter pour d’obscures raisons de droits)
Stark, c’est un des alias de Donald Westlake, auteur d’une série consacrée à Dortmunder, braqueur de génie, auteur de plans incroyables, mais poursuivi par une poisse redoutable : ses meilleurs plans vont se heurter à un grain de sable, toujours, qui prendra des proportions parfois hallucinantes (Pierre qui Roule, premier de la série, a été adapté y a quelques années chez Casterman)
Il y a une dizaine d’années, la médiathèque que je fréquentais avec beaucoup de Westlake/Stark dans son rayon polar. Je m’étais lu des Parker et des Dortmunder.
L’un de ceux que j’avais bien aimé, c’était JIMMY THE KID, où Dortmunder tente d’appliquer le plan d’un roman de PARKER pour kidnapper un riche héritier. Il y avait une certaine auto-dérision à montrer que les plans si bien ficelés de PARKER résistaient mal à l’épreuve du « réel », d’autant plus s’ils étaient exécutés par des poissards…
Le PAYBACK avec Mel Gibson était en effet excellent.